lundi 8 octobre 2012

[Chronique] Enslaved - Riitiir


Sorti il y a tout juste deux ans, Axioma Ethica Odini représentait une sorte de disque somme dans la discographie très (trop?) conséquente d'Enslaved, un album faisant l'amalgame entre les deux périodes bien distinctes du groupe, réunissant le black Metal viking des débuts et les aspirations progressives propres aux années 2000, un album en forme de véritable définition du Son des norvégiens, à défaut d'une véritable redéfinition, ce qui est d'ailleurs une constante dans le discographie d'Enslaved, préférant évoluer par petites touches plutôt que de tout changer d'un seul coup.
Une fois de plus, les norvégiens n'ont pas attendu longtemps avant de reprendre le chemin des studios, après deux EP sortis l'année dernière, voilà donc Riitiir qui vient envahir les bacs et faire mouiller de plaisir les chroniqueurs du monde entier, qui vous diront surement que c'est le disque du siècle et qu'Enslaved est un groupe purement et simplement génial qui réinvente le Metal à chaque sortie.
Génial? peut-être pas, très talentueux, surement, mais malgré tout le talent dont fait preuve le groupe depuis 20 ans, force est de reconnaître que Riitiir est loin d'être la baffe monumentale que tout le monde attendait...

Enslaved sortant des albums à un rythme de stakhanoviste, les différences entre les albums ont toujours été assez minimes, mais suffisantes pour continuer malgré tout à évoluer, de ce fait, ceux qui s'attendaient à un Axioma Ethice Odini Part II en seront pour leurs frais, une nouvelle fois, enslaved évite la répétition, avec pour ce Riitiir un virage cette fois beaucoup plus marqué vers le progressif pur et dur, comme si le groupe se sentait soudainement à l'étroit dans le Black et souhaitait se débarrasser au plus vite de ses contours abrasifs.
Ça ne vous rappelle rien? ouch, ben ouais, comme Opeth qui nous avait pondu une sale bouse l'année dernière avec son Heritage tout moisi.
Rassurez-vous, Enslaved ne va pas si loin dans le prog que leurs collègues suédois, et malgré l'omniprésence du chant clair, reste fondamentalement ancré dans le Metal, par contre, à l'instar d'Opeth, les norvégiens se perdent souvent dans des compositions ennuyeuses et sans direction précise.
Riitiir est donc un album de grands espaces, qui voit Enslaved dessiner de magnifiques paysages d'une incroyable richesse, un long voyage initiatique où l'imaginaire et la rêverie prennent le pas sur le Metal abrasif auquel nous avait habitué le groupe, malheureusement, le groupe nous perd un peu et se perd lui-même au sein de titres incroyablement (trop) longs, qui conservent malgré tout un certain côté Heavy (tout est malheureusement relatif...) tout en perdant en force brute, ce qui est bien dommage.
C'est donc le chant clair qui est ici mis à l'honneur, et même s'il est d'une beauté et d'une pureté à couper le souffle, ce n'est pas particulièrement une bonne idée, là où par le passé le chant clair n'était utilisé que pour ponctuer certains passages, son utilisation désormais constante provoque une importante perte de puissance dans la musique du groupe, en insufflant trop de mélodies qui finissent par toutes se ressembler un peu trop, de ce fait, l'utilisation du chant black de Grutle Kjellson et ses interventions rageuses ont tendance à tomber comme un cheveu sur la soupe et à sonner hors de propos dans une musique qui se veut plus calme et donc plus progressive, au milieu de tout ce chant clair, Enslaved n'arrive pas vraiment à proposer de refrains surpuissants et épiques comme par le passé, et l'album manque donc de moments mémorables.
Il manque à Riitiir ce côté abrasif qui faisait la force du groupe, un aspect renforcé davantage par une production trop claire et policée, qui manque d'impact, un son donc débarrassé de toutes aspérités, mais qui bien sûr renforce le côté planant et atmosphérique de la nouvelle orientation du combo, malheureusement, cela ne parvient pas à sauver des compositions manquant cruellement de reliefs, d'ailleurs, et c'est assez bizarre, les passages blacks plus violents deviennent ici pénibles, et sonnent un peu de manière artificielle et forcée, comme si le groupe souhaitait à tout prix se raccrocher malgré tout à ses racines black.
Riitiir proposent donc des titres longs, très longs, épiques? malheureusement pas du tout, car malgré tout le talent du groupe, Enslaved n'arrive jamais véritablement à donner l'impulsion nécessaire pour relancer un morceau qui s'enlise inexorablement dans un relatif ennui.
Chaque titre est donc un enchaînement de hauts (pas trop hauts non plus) et de bas, voyant un Enslaved peinant véritablement à maintenir l'intérêt sur la longueur, avec des notamment des moments d'ennui presque total où le groupe semble n'avoir aucune idée de où il va, autant dire que le voyage, aussi beau soit-il, s'annonce particulièrement pénible pour l'auditeur.
Le premier titre, Thoughts like Hammers est assez révélateur de ce qu'est Riitiir, car après une introduction cacophonique qui vous fera vérifier si vous ne vous êtes pas trompé de cd en mettant du Blut aus Nord ou du Deathspell Omega, Enslaved nous emmène dans un voyage bizarre, avec ce martèlement pesant, menaçant, et ce très bon refrain planant qui répond admirablement au chant black, la première moitié du titre est vraiment bonne, mais va ensuite s'enliser totalement après sept minutes en tournant en rond.
Commencer un album par un titre de presque dix minutes est quand même assez couillu, dommage que ce titre marque d'emblée toutes les limites de la nouvelle formule que nous propose aujourd'hui Enslaved.
Car ce n'est pas vraiment le titre suivant qui va relancer l'affaire, Death in the Eyes of Dawn est beau, mais chiant, pendant cinq longues minutes au cours desquelles on ne sait pas trop où l'on va, et quand enfin le groupe accélère de manière rageuse, fausse joie, on retombe aussitôt dans une sorte de routine désagréable.
Il est par contre à noter que les solos sont enfin véritablement de retour, et apportent un réel plus à la musique du groupe, c'est l'un des seuls points positifs par rapport à Axioma.
Malgré l'ennui qui se dégage de ses longues marches au milieu de nulle part, Enslaved parvient malgré tout à proposer un paquet de passages qui valent vraiment le détour, en fait, les trois titres au centre du disque sont vraiment à sortir du lot.
Veilburner est court, mais son mélange chant clair/Growl est juste extraordinaire, et que dire de son accélération bluffante sur le refrain en chant clair, Roots of the Mountain, bien que monté sur courant alternatif, propose des putains de passages qui décoiffent, l'intro typiquement black, ou qui surprennent, le passage acoustique vers 7 minutes, pour un résultat assez cohérent.
Le titre éponyme, Riitiir, est quant à lui la plus grande réussite de l'album, enfin, le titre le moins "errant" du disque, l'un des seuls où le groupe semble savoir réellement où il va, avec un chant clair moins prononcé, qui voit le groupe renouer quelque peu avec des sonorités plus abrasives.
Ce qui est dramatique avec cet album, c'est qu'Enslaved est capable de fulgurances absolument géniales, mais celles-ci se retrouvent quelque peu noyées dans des compositions qui naviguent parfois aux confis de l'ennui et de la platitude la plus totale, emmenée par des mélodies vocales, certes jolies, mais absolument pas mémorables.
D'ailleurs, Riitiir m'avait plutôt impressionné lors de mes premières écoutes, c'est pour cela que j'ai mis du temps à écrire cette chronique, il m'a fallu du temps pour diriger ce pavé complexe, mais après l’émerveillement initial, le charme disparaît peu à peu et l'on remarque tous les défauts et les manques, ces compositions sans direction précise (Le trop long et chargé de passages inutiles Forsaken), ces passages chiants (Storm of Memories serait génial avec 2-3 minutes en moins), ce manque criant d'impact, et ce manque d'émotion, tout simplement.
A titre de comparaison, dans le genre Black/Prog, Riitiir n'arrive pas à la cheville du dernier Borknagar, qui avait su plonger dans le progressif tout en conservant toutes ses racines Black, Enslaved n'y arrive pas vraiment avec cet album, et semble perdu quant à la direction à suivre, en tout cas, c'est bien la première fois que je regrette d'avoir acheté un albums des norvégiens...

Bref, autant dire les choses comme elles sont, je n'ai pas du tout apprécié cette nouvelle livraison d'Enslaved, pourtant, l'album avait fait illusion lors de mes premières écoutes, avant que tous ses défauts me sautent à la figure.
Enslaved délivre avec Riitiir un album de grands espaces, qui se veut plus progressif et expérimental que jamais, mais sa musique s'étiole, perd en puissance, avec un groupe qui semble perdre le fil de ses propres compositions, l'auditeur se retrouve à errer, sans vraiment de direction précise, un peu comme si le groupe n'assumait pas complètement sa nouvelle orientation, en se forçant à ancrer sa musique dans le giron du Black Metal, le résultat est donc assez bancal, avec un groupe capable de moments géniaux, mais incapable de sortir de l'ornière quand ses passages purement progressif commencent à s'enliser et à devenir ennuyeux, créer de magnifiques paysages hypnotiques est une chose, que les norvégiens réussissent assez bien malgré tout, mais malheureusement, ils n'arrivent jamais véritablement à donner l'impulsion nécessaire qui permettrait de relancer une machine qui tourne souvent à vide et de donner un sens à tout ça.
Enslaved se débarrasse de certaines aspérités, et s'engagent dans une direction où il ne maîtrise pas tout, tout du moins pas encore, le groupe s'éloigne encore un peu plus du black, et j'ai bien peur que cette partie du voyage se fasse sans moi...

Enslaved s'enlise dans le Prog...
2.5 / 5